Ça commence après le premier concert en co-plateau avec Olivier Journaux, à la médiathèque de Ploërmel, pour la fête de la musique 2023. Nous avons joué chacun nos chansons. Nous discutons avec François Chéry (de la médiathèque), de l’idée de faire des ciné concerts sur le cinéma de Georges Méliès, ou sur « La nuit des morts vivants » de Romero. François nous appelle le lendemain, pour nous parler du festival Brocéliande Fantastik, qui sera tourné vers l’Europe de l’Est. Il nous propose de faire la musique d’un film muet, Nosferatu, de Murnau. Je n’ai pas encore vu le film, mais Olivier oui. Nous acceptons. Nous livrerons le spectacle en octobre. Nous avons l’été pour créer notre premier ciné-concert.

Au début nous étudions le montage du film, la narration, pour tenter de voir s’il n’y aurait pas des pistes, des idées, dans la structure du film ou dans le rythme des images. Nous essayons avec des instruments de musique que nous avons sous la main. Guitare, basse, synthé, flûte, tambourins, percussions. Nous voulons nous imprégner de l’ambiance. La lecture du roman Dracula de Bram Stoker (roman qui servit de base à Murnau pour le film) revient à ma mémoire.

J’essaie, avant de les proposer à Olivier, de créer des ambiances sonores avec le synthé. Je pense alors à Massive Attack, ou encore à l’album «Encounters » des Sofa Surfers, que j’ai énormément écouté. Je me rends compte que jusqu’à présent, mon écriture musicale s’est toujours tourné vers quelque chose de lumineux, que j’ai toujours cherché à être le plus positif possible dans mon univers artistique. Alors que nous continuons tout l’été, Olivier et moi, à chanter nos répertoires de chansons acoustiques sur des petites scènes, je remarque que lui n’a pas peur de parler de choses sombres, ce que je m’interdis de faire depuis longtemps.

Par ailleurs, lorsque je me mets à écrire la musique, je pense surtout à des ambiances. J’aimerai faire des « bruits », des textures, des nappes. Je cherche à travailler le son comme Olivier Messaien, Lili Boulanger, Erik Satie. J’aimerai créer des couleurs, je cherche par tous les moyens à ne pas « tomber » dans la mélodie. À ce moment-là, résonne en moi un extrait des écrits de John Cage : « le seul problème avec les sonsc’est la musique ». Je travaille alors sur le fait de « ne surtout pas faire de la musique ».

Je m’attelle donc, durant cet été 2023, à composer du « sombre pour m’amuser » et « de la musique qui serait le moins possible de la musique », tout en essayant de coller aux atmosphères étranges de ce film, qui a été tourné il y a plus de cent ans.

Puis lorsque j’ai produit un ensemble d’une petite quinzaine de morceaux, je les présente à Olivier, qui va faire « l’éditing », c’est à dire distribuer les sons sur les différentes parties du film. Nous enlevons alors quelques titres, dont nous jugeons la musique « trop entrainante », car nous voulons accompagner l’image, et non s’en servir comme support pour mettre en valeur nos créations. Nous enlevons les parties de basses dont les fréquences entreront en interférence avec la basse électrique d’Olivier, qui aura la charge d’improviser sur ces morceaux, qui sonnent électro, avec des textures teintées « années 80 », des mélodies malaisantes et des progressions d’accords étranges.

Pendant quelques répétitions, nous prenons nos aises sur l’exercice de ciné-concert, et surtout Olivier construit des trames sur lesquelles baser son improvisation. Nous sommes enfin prêts en octobre, pour la première de Nosferatu.

Tout se passe bien. À ma grande surprise, je vois des gens danser au fond, derrière les rangées de sièges. J’ai joué tout le ciné concert avec des fausses dents de vampire.

L’idée de le rejouer ce ciné concert nous titille, mais avant, j’en parle avec Pedro, qui s’occupe du label Somewhere in Katchamka Records, qui est curieux d’écouter ce que ça donne.

Ainsi, en 2024, il me propose de reprendre toutes les pistes, pour les mixer, les « recomposer », à partir de l’éditing d’Olivier et d’y rajouter des percussions qu’il va créer par dessus. Il veut réintégrer les morceaux que nous avions enlevé, Olivier et moi. Il propose également qu’on cale la musique, non sur la version d’une heure du film, mais sur celle d’1h30. L’objectif est que cet ensemble de musiques devienne un album, qui devrait sortir chez SKR en octobre 2024, nous espérons pour Halloween. Il va également le masteriser.

Nous avons conclu un pacte, Pedro et moi, c’est que je n’écoute le résultat de son travail sur la musique que nous avons construit ensemble, moi à Josselin en 2023 et lui à Nantes en 2024, que le jour de la sortie de l’album. Évidemment, j’ai confiance en Pedro (Aka Victor Jorge), et je joue le jeu avec impatience et amusement.

Vivement octobre 2024.